Drama Queen
Aujourd’hui, 21h15.
Je n’ai pas dîné, et pleine d’espoir et de confiance dans la vie, je me dis « tiens, pourquoi ne pas sortir et aller acheter quelques délicieux jiaozi [raviolis] au coin de la rue pour combler ce creux abyssale dans mon estomac ? »
Grossière erreur. La Chine, seul pays à ma connaissance où les restaurants ferment plus tôt que les magasins de fringues (ce qui explique peut être le nombre hallucinant d’anorexiques parmis la population féminine, à chacun ses priorités…).
J’arrive donc au restaurant, et me fait rembarrer comme une pauvre gueuse : « on est fermé ». Je reprends ma route, et fini par réaliser que tous les restaurants en sont au même point.
« Pas grave » me dis-je, « je ressortirai vers 11h pour acheter quelques brochettes ou un peu de riz sauté aux marchands ambulants de nuit ».
N’empêche, le mal est fait, je suis contrariée, et en ajoutant à cela toutes les petites frustrations accumulées au cours du week-end, je ressens le besoin urgent de prendre une mesure radicale pour me remonter le moral.
Un vendeur de dvd. Juste devant moi. Je m’arrête, m’assois sur le petit tabouret en plastique qu’il me tend, et commence à fouiller dans sa collection de dvd gravés à 5 kuai l’unité (50 centimes d’euros, à peine plus que le prix d’un dvd vierge). Et mon cœur s’arrête.
Je viens d’avoir l’idée la plus monstrueuse qui soit pour occuper mes dimanches soirs (et tous les autres jours de la semaine) : acheter un maximum de comédies romantique asiatique et faire une orgie de junk-food en les regardant devant mon ordinateur. Ma mère appellerait ça des films « chamallow », mais croyez moi, à ce niveau, le stade du chamallow a été pulvérisé depuis belle lurette. A moins qu’on ait fourré les dits chamallows au sucre pur, et qu’on les ait ensuite trempé dans de la mélasse. Un cauchemar pour diabétiques, une aubaine pour fille désespérée en mal d’amour.
J’ai pris un peu de tout : un film coréen, un film thaï, un film taiwanais, et le must du must, deux dramas taiwanais sans sous titres anglais, avec seulement des sous titres chinois. La bonne idée pour regarder des films idiots tout en gardant bonne conscience (« Meuh non je ne perds pas mon temps avec ces inepties, je travaille mon chinois, parfaitement ! »).
En même temps, j’ai tenu près de deux mois sans regarder un seul drama, dans un pays où je suis assaillie à chaque fois que je me promène dans la rue ou que j’allume la télé.
A une époque absolument pas lointaine, il m’arrivait de passer des nuits blanches à regarder telle ou telle obscure série coréenne, rien que pour savoir si Nunuche n°1 allait enfin avouer son amour à Bellâtre n°1, bien que celui-ci soit encore sous le charme de Nunuche n°2, elle-même amoureuse de Bellâtre n°2, qui lui préfère Nunuche n°1 (vous n’imaginez pas la quantité astronomique de drama correspondant à ce scénario).
(Lydie me comprendra là-dessus) J’ai même regardé plusieurs fois Full House à la télé (doublé chinois s’il vous plait) et ai pu frimer en racontant l’histoire (« Mais Juliette, tu comprends ce qui se passe là ? – Oh oui, parfaitement »).
Bref, je suis rentrée avec mon butin, à la fois super fière de moi et totalement scandalisée par ma faiblesse et l’évaporation progressive de tout ce qui aurait pu faire de moi une personne à peu près intelligente.
J’ai donc pris une grande résolution : demain, je vais à l’alliance française, m’inscris à la bibliothèque, et pour une série stupide de regardée, je m’obligerai à lire un livre intelligent. Bon deal n’est ce pas ?
